16 mai 2023 eric

Franchiseurs, comment gérer les signaux faibles du déclassement ?

SOMMAIRE

Pris par un développement parfois effréné, les franchiseurs sont la tête dans le guidon. Ils jettent leurs forces dans de nombreuses mais nécessaires batailles :

De quoi bien les occuper alors qu’un risque majeur les guette : l’obsolescence et le déclassement de leur concept et de leur réseau.

Dans cet article j’aborde cette thématique que j’estime, de par mon expérience de consultant en franchise, critique pour les réseaux de franchise.

Bonne lecture,

Laurent Delafontaine.

I/ La franchise demande aux dirigeants de réseaux une stratégie d’innovation continue

Un cadre juridique sans équivoque

En droit français, la qualification juridique de la franchise est accordée aux enseignes ayant développé, entre autres choses, un savoir-faire secret, substantiel et identifié.

Le caractère substantiel signifie que « que le savoir-faire est important et utile (au franchisé) » (Règlement d’exemption européen du 20/04/2010, remplacé ensuite par celui du 10/05/2022). Et par « utile » il faut comprendre qu’il procure un avantage concurrentiel réel qui permettra au franchisé d’améliorer ses résultats (Code de déontologie européen de la franchise).

A défaut de suffisamment innover, comme d’assurer le respect des deux autres critères de validité, les franchisés pourront se retourner contre leur franchiseur sur le fondement d’un défaut de savoir-faire. Et les juges du fond, souverains, pourront éventuellement opérer une requalification du contrat de l’enseigne vers une autre formule de la distribution, qu’il trouveront plus conforme à la réalité du réseau.

Soucieuses de leur réputation, de la réussite de leurs partenaires et d’éviter une source de contentieux importante de la vie des réseaux, les franchises sérieuses doivent donc constamment mettre à niveau leur savoir-faire et leurs recettes.

Axe Réseaux aide les dirigeants de tout concept prometteur à devenir franchiseur.

Comment le franchiseur peut-il organiser son innovation ?

Si un avantage concurrentiel n’est jamais éternel, il revient aux dirigeants du réseau de tout mettre en œuvre pour le conserver. Ils peuvent alors envisager l’approche suivante :

  1. Une politique facilitatrice des initiatives et nouvelles pratiques : le franchiseur peut lancer une boîte à idée, se montrer encourageant (par un système d’incentives) et évidemment à l’écoute lorsqu’un franchisé lui soumet une proposition ;
  2. Un groupe de travail voire une commission dédiée : elle se réunit a minima 1 fois par trimestre, et supervise des phases de test dans les unités pilote afin de valider les pistes d’innovation comme des pratiques référentes pour la chaîne ;
  3. Un suivi du déploiement des innovations à l’ensemble du réseau ;
  4. Une revue régulière (1 fois par an dans l’idéal) du manuel opératoire pour y transcrire les novations apportées au concept ;
  5. Et bien entendu, sa diffusion effective aux franchisés via une communication interne et un chargement de la nouvelle version sur l’intranet partagé, ainsi que son intégration à la formation du réseau.

Le manuel opératoire concentre toutes les innovations du réseau : découvrez nos 5 conseils pour réussir sa rédaction.

II/ L’obsolescence du concept et de sa performance

Les nuages peuvent tout d’abord venir du concept lui-même.

Ce que l’on attend d’un concept compétitif

Le concept c’est le cœur du projet de franchise. Un financier, un cadre en reconversion, un manager ou un collaborateur salarié ne se lanceront à vos côtés qu’après avoir été séduits par lui. C’est parce qu’il revêt une identité remarquable (ou qu’il renvoie cette image) et qu’il a déjà créé des succès stories, qu’ils consentiront cet investissement.

Pour être « bankable » il doit avoir une longueur d’avance sur la concurrence, offrir des produits et/ou services valorisés par le marché, proposer un cadre d’expérience client enthousiasmant et mémorable, et bien sûr offrir un modèle de revenu durable. C’est le job du franchiseur d’y veiller constamment et de réaliser les arbitrages nécessaires en ce sens.

Sauf que cela ne se passe pas toujours comme ça.

Les situations de rupture

Il arrive que le franchiseur se montre négligent, insuffisamment investi ou organisé sur la question, par exemple s’il est essentiellement focalisé sur le développement ou qu’il ne consacre pas assez de moyens à l’animation de son réseau ou à l’entretien de sa réputation. La mise à niveau du concept s’en ressentira à plus ou moins long terme.

Il arrive cependant que le franchiseur mette sincèrement tout en œuvre, mais que le marché aille trop vite. Des innovations de rupture, produits ou technologiques surgissent et ringardisent brutalement son modèle, en proposant une offre supérieure vers laquelle les clients se tourneront à coup sûr. La digitalisation joue d’ailleurs un rôle important en la matière, et notamment l’IA (on parle beaucoup de la disruptivité de ChatGPT actuellement).

Quels sont alors les principaux signaux à surveiller ?

Les signes annonciateurs à interpréter

Il y a par exemple :

  • Un ou plusieurs produits importants du mix de l’enseigne sont devenus inadaptés à la demande, déclassés par une offre supérieure en qualité, ou parce que les besoins et demandes de la clientèle ont changé ;
  • L’expérience client devient insuffisante par rapport aux besoins actuels, ou parce que les concurrents en proposent une meilleure, vont plus loin, que ce soit sur site (aménagement, théâtralisation, promotions, accueil, service en salle, gestion des encaissements…) ou sur l’ensemble du cycle phygital ;
  • Des prix inadaptés : les produits / services sont devenus trop chers, ou le revenue model de l’enseigne n’est plus adapté à la clientèle (ex : prise en compte de l’inflation) ;
  • Des coûts non-compétitifs : l’enseigne pratique un droit d’entrée ou des montants de redevance trop élevés. Ou les contreparties sont devenues insuffisantes pour ce prix, comparé à ce que la concurrence propose.

Zoom sur : Percevoir votre obsolescence dans le recrutement

Un concept en perte de vitesse, ça se sait vite… Avec internet et les réseaux sociaux, le marché a gagné en transparence : les candidats se renseignent plus en profondeur et peuvent déceler des signaux avec parfois plus d’acuité (et d’objectivité…) que les franchiseurs eux-mêmes.

Si vos candidatures sont en berne ou s’amenuisent (ce qui est multifactoriel certes), ou si vous avez plus de difficultés à mener vos process à leur terme, alors questionnez-vous ! Vous aurez beau déployer tous les budgets publicitaires et mobiliser tous les canaux de sourcing, cela ne pourra remédier vos problèmes de fond.

Au fond, votre concept est-il aussi compétitif que vous le croyez ? Demandez-nous un audit.

III/ Le déclassement du réseau

Il arrive aussi que les signes d’inquiétude ne soient pas imputables au concept lui-même, mais à la gestion même du réseau. La réussite provenant d’un bon équilibre entre les deux.

Les incidents préjudiciables

De nombreux symptômes peuvent être recensés, parmi lesquels :

  • Le manque de communication au sein du réseau ;
  • L’éloignement des fondateurs et le manque d’accessibilité voire d’investissement des dirigeants ;
  • L’insatisfaction dans la délivrance des services contractuels ;
  • La frustration dans le traitement des demandes et des questions adressées ;
  • L’excès de rigidité vis-à-vis de certaines initiatives des franchisés ou un manque de pédagogie dans la motivation d’un refus ;
  • Le manque de transparence sur l’emploi des fonds de la redevance de communication ;
  • Le sentiment de se faire flouer dans le partage de valeur des leads générés sur le site web de l’enseigne ;
  • La mauvaise expérience vécue dans le règlement d’un conflit interne par la tête de réseau ;
  • Le manque de rentabilité des points de vente (multifactoriel là-aussi).

Entendons-nous bien : le malaise prend au départ la forme d’incidents isolés. Mais s’ils ne sont pas traités voire se répètent, ils vont laisser s’installer un climat de défiance qui n’attendra qu’un prétexte, parfois dérisoire, pour dégénérer en conflit ouvert. Voire même alimenter une stratégie de dissidence …

Ces situations vous interpellent ? Vous aimeriez un diagnostic objectif ? Parlons-en autour d’un café !

Pour une « accidentologie de la franchise » …

En 1970, deux psychologues américains Thomas Holmes et Richard Rahe ont créé une échelle d’évaluation qui mesure l’impact des niveaux de stress sur la santé. Ils ont établi un lien entre les événements / situations de la vie et le degré de stress chez un individu. Les observations sont quantifiées sur 12 mois.

Dans cette échelle, chaque événement (personnel ou professionnel) potentiellement générateur de stress est associé à un nombre plus ou moins élevé de points en fonction de son impact perçu. Parmi les événements identifiés, on retrouve par exemple : la mort d’un conjoint, le divorce, des blessures, un licenciement, un changement dans ses finances personnelles, etc.

Je trouve qu’il serait intéressant de transposer cette échelle au monde de réseaux et d’y inscrire les incidents abordés précédemment (et bien d’autres) en leur affectant une note. Pour être pertinente, cette notation serait débattue dans un cadre académique entre des chercheurs, des experts en franchise, des dirigeants de réseaux et un panel franchisés. Avis aux amateurs et amatrices 😊

IV/ Franchiseurs, comment réagir ?

Les réponses curatives

Evénement / symptôme

Réponse possible

Un déclassement de produits par une offre supérieure ou une demande évolutive

· Faire un rapport d’étonnement précis, faire travailler la commission produit, dresser un cahier des charges, trouver un fabricant et/ou distributeur, et tester la diffusion du ou des nouveaux produits.

Une insuffisance de l’expérience client (physique, digitale, les deux)

· Faire un rapport d’étonnement, identifier les points de progrès les plus nécessaires, lancer leurs chantiers et tester leur déploiement.

Des prix des produits / services inadaptés

· Envisager un alignement tarifaire dans la mesure du raisonnable, ou travailler le discours ou l’expérience en face de ces produits / services pour mieux en justifier le tarif.

Un coût de la franchise trop cher ou au rapport qualité-prix dépassé

· Supprimer les services qui alourdiraient le coût de la franchise, et procéder à un alignement en cas d’écarts devenus trop importants.

Un manque de communication dans le réseau

· Créer des occasions et des supports de communication top-down, mais aussi bottom-up, ainsi qu’entre franchisés (partage de bonnes pratiques…), mais toujours sous la houlette de l’enseigne !

Des fondateurs et dirigeants moins accessibles

· Recréer des moments de représentation (tournées), et organiser des séances de questions-réponses avec les franchisés, ne serait-ce qu’en webinar.

Des services contractuels insuffisamment délivrés

· Prendre note des retours des franchisés voire des animateurs pour corriger le tir, car le sujet se judiciarise très vite...

Des questions mal ou non répondues

· Organiser un système de tickets, du moins pour les questions à enjeux, pour en assurer un suivi systématique

Un excès de rigidité envers certaines initiatives / un manque de pédagogie relatif à l’interdiction

· Au sein d’une charte Marketing & Communication, dresser une liste des initiatives interdites / soumises à autorisation / autorisées. Et la faire évoluer chaque année lors des releases du manuel opératoire et en assurer la répercussion dans le dispositif de formation.

Un manque de transparence sur l’emploi de la redevance de communication

· Communiquer chaque année en amont lors de la convention ou du séminaire réseau, l’allocation de ces fonds voire leur évolution sur 3 ans. La convention pourra permettre au responsable de la commission concernée de répondre à certaines questions en plénière.

Un partage insuffisant de la valeur créée sur le trafic web du site corporate

· Avec votre avocat et sur la base des dernières jurisprudences, établir des règles claires de redistribution selon les cas de figure et mettre à jour votre contrat de franchise.

Une mauvaise expérience dans le règlement d’un conflit interne par l’enseigne

· Garder trace des débats, des pièces au cœur du litige, et avoir une argumentation claire pour défendre sa position de franchiseur.

Un manque de rentabilité de son point de vente

· Garder trace des rapports de visite des animateurs et des recommandations qu’ils sont censés avoir émises au franchisé, en vue d’améliorer leur performance. Si d’aventure ils ne se montrent pas assez proposants en la matière (sans non plus tomber dans l’ingérence), recadrez-les sans tarder !

J’insiste que le fait qu’un maximum de ces réponses gagnent à être conçues en mode collaboratif, dans le cadre d’un groupe de travail existant ou ad hoc.

Pour approfondir et personnaliser l’une de ces réponses selon votre propre cas, contactez-nous !

Les mesures préventives

La meilleure prévention reste encore de s’organiser pour pratiquer l’innovation continue. Mais si la démarche proposée au point I/ répond à cette préoccupation, cela ne fait pas tout.

En effet, les réseaux n’échappe pas au climat de plus ne plus conflictuel et agressif qui frappe nos économies. Parler de guerre économique n’a désormais rien d’excessif, et les cyberattaques menées par des puissances étrangères ou même des concurrents indélicats donnent à ce concept une résonance nouvelle.

J’encourage donc les réseaux à se doter de moyens de surveillance de leur marché, notamment par un web listening profond, et bien sûr toujours dans les limites permises par la légalité. Le cyber renseignement est l’un des meilleurs moyens de détection de signaux faibles pour votre activité. Evidemment, nous parlons de moyens d’écoute à des fins défensives et préventives, jamais offensives !

Pour concevoir une politique de prévention qui saura protéger et pérenniser votre concept, faites confiance à notre expérience !

Conclusion

Si aucun concept n’est à l’abri de l’obsolescence, si aucun réseau n’est immunisé contre le risque de déclassement, ils n’ont pourtant rien d’une fatalité !

Nombre de réseaux de premier plan, qui font les gros titres pour leur réussite et la fierté de leurs franchisés, en sont là précisément parce qu’ils ont su réagir à temps. Ils n’ont rien pris pour acquis, ne se sont jamais reposés sur leurs lauriers : ils se sont simplement donné les moyens de rester au top.

Nous espérons que vous prendrez très au sérieux ces questions, et que vous aurez envie de réagir promptement si d’aventure vous êtes confrontés à une telle situation – voire que vous souhaiterez anticiper la chose.

  • Enfin, retrouvez sur notre chaîne Youtube notre mini-série sur les fonctions clés des réseaux de franchise.