Gérer deux, trois, voire quatre ou cinq points de vente ? Si la tentation est forte chez de nombreux franchisés, la formule de la multifranchise est, elle aussi, de plus en plus encouragée par certaines enseignes. À tort ou à raison ?
De plus en plus de franchisés investisseurs
Super franchisés, serial-entrepreneurs, « barons »… Les multifranchisés – qui dirigent au moins deux établissements dans le même réseau – sont de plus en plus nombreux. On estime aujourd’hui que 20 % des franchisés exploitent en moyenne 3 points de vente, contre 8 % * en 2009. Cette progression s’explique par le nombre grandissant de salariés et de cadres qui se reconvertissent dans la franchise (74 %)*. Expérimentés, bons gestionnaires, habitués au management et souvent dotés d’un capital de départ élevé, ils choisissent la franchise avec l’objectif affiché d’exploiter plusieurs points de vente. À la clé : la possibilité de se développer rapidement tout en bénéficiant d’avantages préférentiels (droits d’entrée régressifs, mutualisation des coûts, des achats, de la logistique). Et aussi l’opportunité de se constituer un beau pactole. D’après une étude réalisée par l’Essca-Ecole de management pour la FFF en 2011, les multifranchisés déclarent en effet un chiffre d’affaires et une rentabilité par unité supérieurs aux résultats déclarés par les franchisés à la tête d’une seule unité.
Pour les réseaux, la possibilité de s’appuyer sur des candidats solides
De leurs côtés, de nombreux franchiseurs, jeunes ou anciens, encouragent cette pratique. Chez Temporis par exemple, 55 % des franchisés gèrent au moins deux points de vente. Ils sont 50 % chez Elephant Bleu, quasi autant chez La Mie Caline. « C’est un élément de réussite pour nous, cela prouve que le concept est viable et que les franchisés sont confiants » indique Fabrice Grenier, responsable développement de La Croissanterie. Grégory Clément, co-fondateur du réseau de bagel, ne voit que des avantages à la multifranchise. « Cela nous permet de mailler le territoire en nous appuyant sur des franchisés aguerris qui connaissant le métier, les savoir-faire, les techniques et les process. Cela limite le risque sur le profil des candidats ». L’enseigne de bagels qui compte 45 restaurants (55 d’ici fin 2019) a d’ailleurs décidé de concentrer ses recrutements sur des candidats investisseurs, capables d’ouvrir et de gérer plusieurs unités. La multifranchise est également largement pratiquée dans les réseaux multi-enseigne comme par exemple le groupe Fournier (Perene, Moblapa et SoCoo’c) ou Emova Group (Monceau Fleurs, Happy, Cœur de Fleurs et Au nom de la rose). L’avantage : attirer les candidats en leur offrant la possibilité de se diversifier tout en restant sur le même secteur d’activités.
Les risques du métier
Reste que gérer plusieurs sites n’est pas à la portée de tous les franchisés. Il faut d’abord savoir raison garder. En choisissant notamment des points de vente dans un périmètre géographique limité : pas plus de 80 kilomètres de distance au risque de passer son temps sur la route. Et attendre le bon moment car l’ouverture d’un second ou troisième point de vente n’est envisageable que lorsque la première unité est rentable, et a atteint sa vitesse de croisière. « Il faut au moins un premier bilan positif sinon le franchisé n’aura pas la capacité financière pour gérer un 2erestaurant » prévient Gregory Clément.
Le franchisé doit également avoir l’étoffe d’un chef d’entreprise et les compétences nécessaires : un multifranchisé pilote tout, la gestion, le management, la communication… de ses points de vente. Il doit être capable de déléguer et de s’appuyer sur des responsables de site performants, de mettre en place des process, des outils de reporting pour suivre ses points de vente… « Cela exige de l’organisation et de la structuration », explique Sébastien Barbier, multi-franchisé La Croissanterie qui exploite 8 restaurants dans le sud de la France. « Je partage les rôles avec mon associé : nous pilotons et gérons chacun quatre points de vente et nous avons nommé des managers dans chaque établissement ». Sage précaution. Les études et les experts déclarent qu’au delà de cinq unités, un franchisé rencontre des difficultés à tout gérer seul.
Frilosité de certains réseaux
Cette part de risque est justement jugée trop dangereuse par certains réseaux qui modèrent l’accès à la multifranchise, et le réservent à quelques cas particuliers. C’est le cas chez Irrijardin : l’enseigne ne pousse pas ces franchisés à ouvrir plusieurs magasins, par crainte qu’ils s’éloignent de l’opérationnel et du terrain. Même prudence chez Midas : sur les quelques 270 franchisés, seule une petite trentaine exploitent plusieurs centres. En cause, souvent : le coût élevé des opérations, qui peut mettre en difficulté le franchisé à plus ou moins long terme, et par ricochet … le réseau.
*enquête Banque Populaire-FFF de 2010
* 15eenquête Banque Populaire-FFF -2019
Laurent Delafontaine avec la participation de V. Froger